La sérotonine : un rôle complexe dans la dépression et le remodelage osseux
Éditorial
Michel Hamon 0
0 M. Hamon Inserm U894 Centre de psychiatrie et neurosciences Universités Pierre et Marie Curie et Paris Descartes Site Pitié-Salpêtrière 91, boulevard de l'Hôpital 75634 Paris Cedex 13 , France
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> Parmi les neuromédiateurs, la sérotonine (de dénomination
chimique 5-hydroxy-tryptamine ou 5-HT) est certainement
l’un des mieux connus, grâce aux - ou à cause des - nombreux
articles et reportages que les médias consacrent à la
dépression. De fait, il s’agit d’une psychopathologie en constante
progression dans nos sociétés libérales. L’Organisation
mondiale de la santé (OMS) nous prédit même qu’elle sera, dans
10 ans, la première cause de morbidité chez la femme, la
deuxième chez l’homme (après les maladies
cardiovasculaires). Et tout le monde sait que les antidépresseurs les plus
utilisés aujourd’hui (escitalopram, sertraline, fluoxétine,
paroxétine, etc.) sont des inhibiteurs sélectifs de la recapture
de la sérotonine (ISRS) dans divers types cellulaires
(neurones sérotoninergiques, plaquettes sanguines, lymphocytes,
cellules pancréatiques , cellules endothéliales, etc.), et que
leur action thérapeutique est étroitement liée à leur capacité
à élever les taux extracellulaires de cette monoamine dans
le cerveau. Cependant, en conclure que la dépression est, au
contraire, associée à un déficit de la production de 5-HT dans
le système nerveux central (SNC) reste une assertion largement
infondée, pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il s’agit
d’une pathologie extrêmement complexe qui fait intervenir de
très nombreux facteurs - génétiques, épigénétiques,
hormonaux, etc. - et se traduit par des altérations
anatomo-fonctionnelles dans plusieurs régions cérébrales comme
l’hippocampe, l’amygdale, le cortex préfrontal [
1
]. Ensuite, parce
que la 5-HT n’agit pas d’un seul bloc, par une action positive
ou négative, mais exerce des effets multiples via de très
nombreux récepteurs codés par une quinzaine de gènes distincts
[
2
]. Ainsi, l’activation de certains d’entre eux, par exemple les
G protein coupled receptors (GPCR) de type 5-HT1A et 5-HT1B,
entraîne une hyperpolarisation membranaire, inhibitrice, alors
que celle des types 5-HT2, 5-HT4, 5-HT6 et 5-HT7 déclenche au
contraire une dépolarisation, excitatrice. S’agissant des
grandes fonctions contrôlées par la 5-HT, cette dualité d’action va
de pair avec l’implication de multiples récepteurs à l’origine
d’effets opposés. En l’occurrence, pour ce qui concerne l’action
antidépressive des ISRS, l’activation des récepteurs 5-HT1A qui
résulte de l’élévation des taux extracellulaires de la 5-HT est
certainement une composante positive importante. En
revanche, l’activation des récepteurs 5-HT2A, 5-HT2C, 5-HT4 et 5-HT7
est au contraire une composante négative, et, de fait, ce sont
les antagonistes de ces récepteurs qui possèdent des
potentialités antidépressives. D’où l’idée d’associer dans une même
molécule la capacité de bloquer tel ou tel de ces récepteurs à
celle d’inhiber la recapture de la 5-HT en vue de développer de
nouveaux antidépresseurs plus efficaces.
L’autre raison, majeure (en dehors des aspects économiques,
tellement évidents), qui incite à rechercher de telles
molécules est la survenue d’effets secondaires souvent gênants et
mal supportés (nausées et vomissements, désordes
gastroentériques, diminution des capacités sexuelles, etc.) lors d’un
traitement par ISRS [
3
]. Ceux-ci révèlent en fait que la 5-HT
est non seulement un neuromédiateur dans le SNC (et pour une
population limitée de neurones sérotoninergiques dans le
plexus myentérique) mais aussi une neuro-hormone dans de
nombreux tissus périphériques où elle y rencontre la plupart
de ses récepteurs. La 5-HT est produite en abondance dans
les cellules entérochromaffines de l’intestin, au point qu’on
estime que sa quantité dans le SNC ne représente, au mieux,
que 3 à 5 % de la quantité totale de 5-HT chez l’homme comme
chez le rat. Comme la barrière hémato-encéphalique empêche
tout transport de la 5-HT de la périphérie au SNC et du SNC
à la périphérie, il existe donc en réalité deux compartiments
distincts, quantitativement très déséquilibrés, au sein
desquels la 5-HT exerce des effets propres, voire opposés.
Certes, d’autres neuromédiateurs monoaminergiques, comme la
dopamine et la noradrénaline, existent aussi à la fois dans
le SNC et à la périphérie, mais leur production implique la
même enzyme limitante spécifique, en l’occurrence la
tyrosine hydroxylase, codée par un seul et même gène dans les
neurones et dans les autres types cellulaires (glande
médullosurrénale). Dans le cas de la 5-HT, il existe deux tryptophane
hydroxylases, codées par deux gènes distincts : l’une, appelée
TPH1, est responsable de la synthèse de 5-HT dans les tissus
périphériques, l’autre, appelée TPH2, est l’enzyme-clé de la
synthèse de 5-HT dans les neurones sérotoninergiques. La
délétion spécifique de ces gènes a été réalisée, confirmant le
rôle-clé de la 5-HT cérébrale dans le cont (...truncated)