Commerce philosophique du grand siècle
Un concept subversif apparat : le progrs. De la conciliation, on passe la rpudiation du modle romain. Si le constat d'chec est amer pour l'Italie, il est nanmoins vide de culpabilit. Les temps ont chang, l'homme valeureux ne peut plus compter sur la fortuna. D'un problme thique, la guerre est devenue une question technique. On entre dans une re de slection o la technique brise l'unit des savoirs. Tuer devient un art, dont on parle entre spcialistes. Les diagrammes, dessins et calculs gomtriques s'imposent dans les traits militaires : l'alliance des armes et des lettres a fait long feu. Dans le mme temps, l'art militaire devient un hobby pour les civils : la guerre est un beau spectacle. Il revient en effet l'art de combler l'cart entre l'tre et le devoir-tre, en reprsentant chaque chose, selon Giovanni Paolo Lomazzo, avec l'apparence que commande la raison .
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COMMERCE PHILOSOPHIQUE DU GRAND SICLE
Ce recueil darticles rpond un problme fondamental et pineux de lhistoire
de la philosophie et de lhistoire des ides : selon quelles modalits, et travers
quels moyens dexpression, une poque vit-elle son rapport une tradition passe ?
Si lge classique invente la modernit, il ne le fait pourtant pas sans se rapporter
lAntiquit. Et ce rapport est irrductible lopposition, la rception, la simple
utilisation. Plus que toute autre cole de lAntiquit, le stocisme se prte un
travail dinvestigation sur ces relations quune poque tisse avec le pass, parce que le
stocisme, pendant deux sicles, a imprgn de faon vivante la culture
philosophique, littraire, artistique et scientifique.
Le recueil couvre tous les champs de la culture, ce qui a pour effet de faire
merger la structuration transversale de lpoque par des problmes poss en termes ou
selon des schmes stociens. Ainsi Jacques Darriulat montre, dans son tude
magistrale sur la reprsentation de saint Sbastien dans la seconde moiti du Quattrocento,
comment la virt de Rome ressuscite en ce hros chrtien. De faon gnrale la
grande qualit des articles runis tient ce que lon ne sest pas limit reprer la
rsurgence de thmes, de motifs, de concepts, qui seraient dposs tels quels dans le
corpus moderne. Ainsi, Miguel A. Granada ( Giordano Bruno et la Stoa. Une
prsence non reconnue de thmes stociens ? ) montre comment chez Bruno, bien quil
ne soit fait aucune allusion au stocisme, le seul auteur cit par Bruno tant Snque,
la localisation de ces rares rfrences est dterminante. Dans sa thorie du spiritus
comme divinit immanente et matrielle, Bruno est au plus proche dune affinit
avec le stocisme. On apprend ainsi que si la prsence du stocisme nest pas
immdiatement perceptible chez les auteurs de cette tradition, cest parce quils ont une
doctrine de lhistoire de la philosophie qui synthtise des courants trs divers de
lAntiquit sous le platonisme. Cest une leon de mthode : sous les tiquettes, il
faut apprendre voir le jeu dlicatement articul des concepts appartenant des
doctrines en ralit diversifies. Cest aussi la leon de Bernard Joly qui montre,
dans son tude sur Physique stocienne et philosophie chimique au XVIIe sicle
que, bien que les stociens ne soient jamais cits (parce que les alchimistes reoivent
les thses stociennes au travers du corpus hermtique et noplatonicien), ils se
servent de doctrines physiques stociennes contre Aristote. Sans mme quils le
sachent les alchimistes prennent la Stoa lide de lunit et du dynamisme de la
matire. Si ces contributions montrent la prsence du stocisme l o on ne
lattendait pas, parce quon ne la voit pas, dautres montrent que sous une prsence trs
visible du stocisme, cest tout autre chose qui slabore. Tel est, pour Annie
Ibrahim, le sens et la fonction du recours aux Thmes stociens dans les thories du
vivant au XVIIe sicle : par le stocisme, est liquid la fois le modle
mcaniste et le modle aristotlicien du vivant, ce qui permet davancer les linaments du
concept moderne dorganisme. Le stocisme rinvesti produit des effets thoriques
davant-garde en science.
Avec Descartes et Spinoza, le rapport aux stociens est diffrent : linformation
doctrinale des auteurs est manifeste, ainsi que les emprunts de langage. Gilles Olivo
( Une patience sans esprance ? Descartes et le stocisme ) montre comment la
morale cartsienne du libre-arbitre na rien voir avec la thorie stocienne du
consentement de la volont : la libert cartsienne produit, elle modifie causalement
lordre, alors que la libert stocienne tient en ce quelle est traverse par lordre du
monde (p. 243). Sur la ncessit aussi la diffrence sinstaure dans lapparente
rptition spinoziste : Alexandre Matheron montre dans Le moment stocien de
lthique de Spinoza que le point le plus profond de la divergence tient ce que
chez Spinoza nous ne pouvons pas vouloir, purement et simplement, que lordre du
monde se ralise, parce que la ncessit spinoziste na rien daimable.
Il est trs intressant pour lhistorien de la philosophie de lire larticle ddouard
Mehl en regard de celui de Gilles Olivo. Car si c (...truncated)