Entretien avec pierre hassner

Revue de Synthèse, Dec 2002

Henriette Asséo, Élisabeth Gessat-Anstett

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Entretien avec pierre hassner

0 ralis par Henriette A - HA : Revenons ces deux notions diffrentes de cosmopolitisme et d tre cosmopolite . Il y a l une part importante de lhritage philosophique kantien, qui implique de se rfrer un cosmos qui ne soit pas un chaos, cest-dire un ordre du monde qui ne recoupe pas les ordres mondiaux politiques des relations internationales mais qui se fonde sur un enjeu de civilisation, sur un ordre qui, au XVIIIe sicle, tait bel et bien europen. Or cette dimension europenne est dsormais trs diffuse, votre propos se situe une chelle mondiale. Cette chelle renvoie lide que vous vous faites dune globalisation qui nest pas exclusivement conomique. Mais un second thme intervient lintersection du cosmopolitisme kantien et de ces phnomnes de worldlessness et de statelessness points par Arendt. Car appartenir un ordre cosmopolite lheure actuelle recoupe-t-il le fait dtre citoyen du monde ? En relisant rcemment Primo Levi, jai t frappe de ce quil dit des camps. Les camps ne renvoient pas pour lui un endroit cosmopolite mais un tohu-bohu assourdissant, la fois marqu par la promiscuit et le dsordre absolu, limpossibilit de sentendre, quil oppose la tour de Babel. On revient cette opposition du cosmos et du chaos. PH : Je dirais quil y a deux oppositions implicites qui se rejoignent sans se recouper totalement, entre le cosmopolitisme intellectuel ou culturel et le cosmopolitisme politique. Une notion familire aux Grecs veut que toute cit soit en quelque sorte dans sa propre caverne, quelle ait ses propres mythes et que lHomme soit membre de sa cit. Mais le philosophe, lui, est citoyen de lunivers, il a accs luniversel mme sil y a une tension entre lordre politique et lordre universel. Socrate accepte de boire la cigu, car le philosophe doit accepter de jouer le jeu de la cit. Mais lui et ses disciples reprsentent une sorte de contre-cit, ils sont les citoyens de luniversel tout en ayant les pieds dans leur propre cit. la confrence dont jai parl prcdemment, le pote dorigine polonaise, Adam Zagajewski, affirmait dune faon aristocratique les vertus de lexil qui vous fait participer de plusieurs univers. Or je maintiens lopposition entre le cosmopolite de vocation aristocratique, qui peut voyager et correspondre, et le rfugi qui na aucune envie dtre cosmopolite, qui voudrait rester sur sa terre et qui en est chass soit par la faim, soit par la guerre civile, soit par la perscution. Il se retrouve cosmopolite malgr lui. Pour illustrer le propos de ma confrence, javais pris lexemple de laide mnagre dune de mes amies Berlin, qui tait bosniaque, de Srebrenica. Ses parents ne voulaient absolument pas bouger, ils ne voulaient mme pas tre rinstalls Tuzla, parce que leur patrie, ctait Srebrenica et ils espraient toujours y retourner. Et puis il y avait ses enfants, qui taient arrivs en Allemagne et avaient appris lallemand, mais ne pouvaient pas y rester. Le seul endroit o ils pouvaient aller, ctait lAustralie. Elle partait donc pour lAustralie avec ses fils, bien contente davoir un endroit o lon voulait bien laccueillir. Ce qui me frappe toujours, cest limage du rfugi en orbite, lorsquon est de plus en plus conduit et de moins en moins accueilli. Ce que je voulais souligner cest cette opposition entre un cosmopolitisme positif des citoyens du monde, et un cosmopolitisme forc, ngatif, celui de lexil, du rfugi, de lexpuls qui essaye partout de jeter des racines, ou qui, au contraire, reste en diaspora. La grande question est la suivante : le cosmopolitisme est-il fait pour des lites aristocratiques, tandis que la plupart des gens restent dans un ordre politique li par dfinition un enracinement, une diffrence entre nous et les autres ? Et puis, les cosmopolites sinspirent-ils de lide positive dun ordre politique ou intellectuel ? Ou bien le cosmopolitisme moderne nest-il quun cosmopolitisme par dfaut, produit par les clatements nationaux ? Il reste une dernire question et laquelle je suis incapable, en ltat, de rpondre. La situation de dracinement, de flottement peut-elle amener quelque chose de positif, peut-on en tirer une thique ? Existe-t-il des rapports entre les gens dracins, qui ne sexpriment pas sur le mode traditionnel de lopposition entre les membres de la communaut et les autres les barbares et les ennemis et qui ne renvoient pas non plus lappartenance un royaume alternatif, comme le dit de faon trs belle Machiavel, lorsque, aprs avoir pass la journe avec les paysans crotts, il rentre dans son cabinet, se pare de ses plus beaux atours pour tre enfin dans son vrai pays, o il discute avec les grands penseurs de lAntiquit et rejoint la rpublique des lettres ? Est-ce que, par del le dnuement ou le flottement du cosmopolitisme, on peut tirer quand mme une thique de la solidarit, travers cette ide de solitaire-solidaire que lon retrouve chez Camus, dans LHomme rvolt par exemple ? Le cosmopolitisme aujourdhui est-il simplement ngatif ? Chez Arendt, statelessness peut tre illustr de faon bana (...truncated)


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Henriette Asséo, Élisabeth Gessat-Anstett. Entretien avec pierre hassner, Revue de Synthèse, 2002, pp. 200-208, Volume 123, Issue 1, DOI: 10.1007/BF02963328