Quand l’urine cisaille les cellules rénales - Un nouveau rôle pour le shear stress dans les néphropathies
Quand l'urine cisaille les cellules rénales
Julien Gonzalez 2
Marie Essig 2
Julie Klein 0 1
Cécile Caubet 0 1
Romain Dissard 0 1
Jean-Loup Bascands 0 1
Joost P. Schanstra 0 1
Bénédicte Buffin-Meyer 0 1
0 Université Toulouse III Paul- Sabatier , Toulouse , France
1 Inserm U1048, institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires, I2MC
2 , avenue Jean Poulhès, 31432 Toulouse Cedex 4 , France
> Le cisaillement - ou shear stress - est une contrainte mécanique dont le rôle en physiopathologie vasculaire n'est plus à démontrer. Toutefois, le cisaillement apparaît maintenant aussi comme un mécanisme essentiel pour la fonction rénale et de plus en plus d'arguments indiquent même qu'il contribuerait au développement des néphropathies. Le but de cette revue est de proposer un état de l'art sur les rôles physiologiques du shear stress urinaire et ses implications en pathologie. < La perception du cisaillement est importante pour les cellules tubulaires
Le cisaillement urinaire : une histoire d’écoulement
Le cisaillement - ou fluid shear stress (FSS) en anglais
est la force qu’exerce le frottement d’un fluide en
mouvement sur la paroi d’un tube. Il dépend du débit
du fluide, de sa viscosité ainsi que du diamètre du tube.
C’est au niveau vasculaire que le cisaillement est le mieux
caractérisé. Généré par la circulation du sang, le FSS
vasculaire s’élève à environ 2 Pa dans les artères et 0,4 Pa
dans les veines. Il induit des modifications fonctionnelles
et structurales des vaisseaux et il est très fortement
associé à la localisation des plaques d’athérosclérose [
1
]. Au
niveau rénal, on peut également mettre en évidence la
présence d’un cisaillement. Chaque rein est en effet
composé d’un million de petits tubes, les néphrons, dans
lesquels s’écoule l’urine en formation (Figure 1). Les cellules
qui bordent la paroi des néphrons sont donc soumises en
permanence à un cisaillement, créé cette fois-ci par le
déplacement de l’urine (Figure 1). Plus faible que dans les
vaisseaux, le FSS urinaire est de l’ordre de 0,1 Pa à l’entrée
du tubule proximal [
2, 3
], là où se déverse l’urine primitive.
À l’heure actuelle, peu de travaux ont étudié les effets du
cisaillement urinaire. Néanmoins, les quelques résultats
publiés sur ce sujet montrent que les cellules tubulaires
rénales, au même titre que les cellules endothéliales des
vaisseaux, sont capables de répondre au cisaillement.
Mieux - ou pis - encore, certains résultats suggèrent que
le shear stress urinaire pourrait être impliqué dans le
développement des néphropathies.
Vignette (Photo © Inserm - Éric Dehausse).
Contrôle des fonctions glomérulaires et tubulaires
On sait depuis longtemps que les variations du débit d’écoulement du
fluide urinaire dans le tubule rénal modifient les échanges tubulaires
tels que les réabsorptions d’eau, de NaCl et de bicarbonates ou la
sécrétion de K+. Elles sont aussi à l’origine du rétrocontrôle
tubuloglomérulaire, mécanisme par lequel les cellules de la macula densa
modifient les résistances artériolaires glomérulaires pour contrôler la
filtration glomérulaire. Toutefois, la majorité de ces travaux ont utilisé
des segments de néphrons microperfusés. Or, une variation du débit
du fluide dans ces modèles modifie non seulement le FSS urinaire mais
également au moins deux autres paramètres : la pression exercée à la
surface des cellules et le degré d’étirement de la membrane cellulaire.
En utilisant des dispositifs pour s’affranchir des paramètres de
pression et d’étirement, des études ont récemment analysé les effets
du cisaillement sur les propriétés de transport des cellules rénales.
Ainsi, l’exposition des cellules tubulaires proximales au FSS stimule
l’expression des protéines de transport NHE3 (échangeur Na+/H+
apical), H+-ATPase et Na+/K+-ATPase ainsi que leur adressage à la
membrane plasmique [
4
]. Dans les cellules du canal collecteur, le
FSS induit la translocation des aquaporines AQP2 à la membrane
apicale [
5
] et favorise l’expulsion de K+ via des canaux potassiques
Glomérule
sensibles au calcium [
6
]. Il y entraîne également la
libération du monoxyde d’azote et des prostaglandines
E2 [
7-9
], deux modulateurs des échanges tubulaires.
Enfin, des études utilisant des ovocytes montrent que
le FSS augmente la probabilité d’ouverture du canal
ENac, protéine qui assure la réabsorption de Na+ dans
le canal collecteur [
10
]. Ces résultats suggèrent donc
que le cisaillement urinaire participe, en tant que tel,
au contrôle des échanges tubulaires.
Réarrangement du cytosquelette cellulaire
Des cellules proximales en culture, maintenues en
conditions statiques, présentent de nombreuses
fibres de stress d’actine réparties dans le cytosol. En
revanche, en réponse au shear stress, ces fibres
cytosoliques disparaissent et on observe un renforcement du
réseau d’actine au pôle apical et en position latérale,
associée à un assemblage des jonctions intercellulaires
serrées et d’ancrage [
11-13
]. Cette réorganisatio (...truncated)