Le nécessaire questionnement éthique autour de la relation de soin en télémédecine bucco-dentaire
Le nécessaire questionnement éthique autour de la relation de soin en télémédecine bucco-dentaire
Michael Allouche 0
Christian Hervé 0
Philippe Pirnay 0
0 Vignette, Photo © Inserm-Bertrand Kerebel
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> En transformant la relation de soin, la
télémédecine, en particulier bucco-dentaire, virtualise
la rencontre médicale et produit une mutation
du modèle relationnel classique qui réarticule
la relation entre le praticien et le patient. Elle
introduit un levier d’action positif dont
l’utilisation doit rester à l’appréciation de la balance
bénéfices/risques que l’éthique devra aider à
établir pour chaque patient. La télémédecine
doit donc être comprise comme un moyen et non
comme une fin, et ne doit pas être fantasmée
au point d’en faire un modèle de prise en charge
universel. Il semble donc recommandé
d’interroger systématiquement les innovations
technologiques et le développement de protocoles à l’aide
d’une réflexion éthique afin d’évaluer a priori et a
posteriori le progrès envisagé. <
Les innovations technologiques dans les domaines de l’imagerie et
de la communication ont permis l’avènement de la télémédecine, en
particulier bucco-dentaire [
1
]. Il s’agit d’une avancée technologique
importante qui peut néanmoins être source de questionnements. La
santé bucco-dentaire fait partie des applications de cette nouvelle
approche. Son exemple est intéressant dans le sens où elle touche une
partie intime du patient. Nous exposerons dans cette revue les
avantages de ces nouvelles technologies et leurs inconvénients, en
particulier sociologiques et éthiques, dans ce domaine particulier.
L’utilisation d’une caméra intra-orale, connectée à internet, permet
désormais au chirurgien-dentiste d’observer à distance la bouche d’un
patient et de poser un diagnostic. Grâce à ce procédé, ceux qui,
d’ordinaire, souffraient de difficultés d’accès au chirurgien-dentiste, comme,
par exemple, les personnes habitant dans des déserts médicaux [
2
], les
personnes âgées dépendantes institutionnalisées [
3
], ou les prisonniers
[
4
], peuvent dès lors obtenir un avis médical sur leur santé
bucco-dentaire. Les délais sont ainsi plus courts et permettent des économies de
transport significatives. À l’instar du projet « e-dent » dont
l’expérimentation a débuté en 2014 en France [
5
], différents projets de télémédecine
bucco-dentaire – principalement de téléconsultation et de téléexpertise
– sont en cours de développement avec le soutien des Agences
régionales de santé.
L’émergence de
modèles de prise
en charge par
t é l é m é d e c i n e
bucco-dentaire
nourrit l’espoir
de relever les défis de santé publique en répondant aux
objectifs d’égalité d’accès aux soins, d’amélioration de
leur qualité et de leur sécurité [
6
]. Toutefois, malgré
l’efficacité apparente du procédé, ces nouveaux modèles
conduisent à un questionnement éthique. En effet, la
bouche qui permet de manger, respirer, communiquer,
sourire et aimer [
7
], est un lieu singulier et intime, dont
l’examen médical est associé à une dimension
symbolique. Ainsi, « l’éthique en médecine bucco-dentaire est
sans cesse sollicitée pour déterminer les frontières du
bien et du mal, de ce qui est ou non acceptable » [
8
].
Dévoiler au regard de l’autre cette intimité qui livre tant
de renseignements sur notre hygiène de vie et notre santé
générale, nécessite une relation de confiance forte entre
le patient et le praticien qui, selon Frédéric Worms, noue
une relation fondamentale pour le soin [
9
]. Il s’agit
d’une relation humaine médicale tout à fait propre à la
médecine bucco-dentaire et socle de la rencontre entre
confiance et conscience qui légitime l’acte médical. Plus
le patient sera vulnérable, à l’instar de la personne âgée
dépendante, du prisonnier ou de l’interné souffrant de
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Heure H’
Espace E’ Transmission de données
Tiers technologique
Transmission compte rendu : diagnostic, plan de traitement, indications de prise en charge
troubles psychiatriques, plus la relation, c’est-à-dire les mots justes,
les gestes rassurants, l’attitude professionnelle du praticien, et tout ce
qui contribue à l’établissement du climat de confiance du colloque
singulier, jouera un rôle clé dans la prise en charge du patient. Il est ainsi
important d’adopter un questionnement éthique permanent. C’est
pourquoi il parait légitime de s’interroger sur les impacts de cette mutation
de la relation de soin classique entre le praticien et son patient, et d’y
appliquer une réflexion éthique pour optimiser la qualité de la prise en
charge des patients.
Les impacts de la télémédecine bucco-dentaire sur la relation de soin
Que devient le colloque singulier ?
Les actes de télémédecine bucco-dentaire s’appuient sur un dispositif
ingénieux et simple : un personnel de santé requérant – une infirmière
diplômée d’état, responsable de la prise en charge du patient, sous la
responsabilité du médecin ou du chef de service (...truncated)